mardi 15 février 2011

Comment la philo nous aide à aller mieux

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Par Pascale Senk
14/02/2011 | 
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À l'heure où la «science de la sagesse» fleurit partout, on peut se demander quels sont ses réels bienfaits sur nos vies. 


Dessin: Dobritz.
Dessin: Dobritz.
Depuis 1992, date où l'iconoclaste philosophe Marc Sautet exportait sa spécialité des bancs de l'université jusque dans des «cafés philo», le mouvement n'a cessé de s'amplifier: conférences «grand public» sur Platon ou Levinas, séminaires en entreprise pour pratiquer «l'art de s'étonner», salons privés réunissant, tels des clandestins au pays de la téléréalité, des fans de la dialectique hégélienne, consul­tations en cabinet philosophique…

Pas de doute, la philosophie attire, fascine et apparaîtrait presque comme le nouvel adjuvant d'une société qui valorise par ailleurs stress et activisme. Mais lire Platon ou penser la volonté permet-il de vivre mieux? «A priori, seuls les philosophes de l'Antiquité, les Épictète, Marc Aurèle ou Épicure avaient le souci d'ériger la science de la sagesse en art de vivre , note la philosophe Olivia Gazalé, présidente de l'association Les Mardis de la philo, qui, depuis douze ans, a permis au grand public d'assister à des milliers de conférences. Pour le reste, la philosophie cherche à affûter la lucidité. Si cette hyperlucidité permet à certains de s'élever, elle n'empêche pas d'autres de s'effondrer.»
Réfléchir est en effet loin de garantir le mieux-être. Balthasar Thomass, directeur de la formidable collection «Vivre en philosophie» (Eyrolles), témoigne de ce moment où, «jeune agrégé habité par une flamme émotive envers la philosophie», il s'est dirigé peu à peu vers une version asséchante de celle-ci, «en travaillant pendant des années à une thèse très abstraite». C'est là l'une des ombres qui guette tout amoureux de la philosophie: la fuite dans le discursif, le refuge dans le langage conceptuel, sans être capable d'accéder à un au-delà de ce langage.

«Les débats théoriques, la spéculation poussée à son maximum juste pour réfuter les arguments des autres écoles constituent une dérive fréquente chez les apprentis philosophes», reconnaît Balthasar Thomass, qui avoue avoir conçu sa collection de livres de vulgarisation pratique pour se reconnecter à «l'intérêt vital de la philosophie». Grâce à lui, on peut donc désormais «s'affirmer avec Nietzsche» ou «être heureux avec Spinoza».

D'autre part, il ne suffit pas d'apprendre par cœur, tels des slogans publicitaires, des préceptes de sagesse antique pour devenir plus patient ou se libérer de ses angoisses. Certes, ces conseils de vie peuvent nous apaiser à certains moments, «mais seulement à condition qu'ils ne deviennent pas un schéma de pensée prêt-à-porter pour tous, relève la psychanalyste Valérie Blanco, auteur de Dits de divan (L'Harmattan). C'est toujours le risque: qu'une pensée, philosophique ou pas, oublie la singularité de chacun, la cause personnelle de ses souffrances, et vienne juste boucher le trou des questions à se poser.»
Certes, mais, si elle attire autant, c'est que la démarche philosophique procure des bienfaits tangibles. «En lire, s'en imprégner, permet d'aller mieux, assure Olivia Gazalé, mais pas dans un sens psychologique, pas comme un comprimé qui ferait disparaître physiquement les angoisses, mais au sens de devenir meilleurs.

En nous obligeant à nous confronter de manière conceptuelle aux problèmes de l'existence humaine, la mort ou la responsabilité, elle nous amène à devenir plus avisés.» Chaque mardi, devant un public composé en grande partie de seniors qui veulent rattraper le temps perdu, et de chômeurs qui ont du temps, la philosophe constate cette appétence pour la connaissance. «Quand je demande aux habitués pourquoi ils reviennent, ils me le répètent: pour nous sentir plus intelligents.»

Cette soif de penser est aussi forte chez les habitués des Lundis de la philo, orchestrés au cinéma MK2 Hautefeuille par Charles Pépin (le lundi à 18 heures). Le romancier et auteur de Ceci n'est pas un manuel de philosophie (Flammarion) réunit à chaque fois plus d'une centaine d'étudiants des grandes écoles du quartier, mais aussi, plus surprenant, des cadres et managers aux agendas surbookés. «Ils viennent pour penser, c'est tout!» observe avec enthousiasme celui qui peut proposer au menu de ses conférences des thèmes aussi variés que «Qu'est-ce que le courage?» et «Doit-on croire au progrès?».

Selon lui, ce besoin de penser touche de nombreux actifs, qui n'ont tout simplement plus le temps de réfléchir dans leur vie professionnelle. «Le temps d'un exposé, ils souhaitent vivre une expérience intellectuelle forte, explique le philosophe. Une aventure de l'esprit qui éveille et n'apaise surtout pas. «Car le véritable bienfait de la philosophie, rappelle-t-il, c'est de maintenir une intranquillité salutaire. Sans elle, on goberait tout, on ne remettrait plus rien en question. En un mot, on deviendrait plus bête.» Alors oui, la philosophie fait bien œuvre de salut public.

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